Ode à la violette, pudique et séductrice

Publié le 5 février 2023 - Paroles de plantes

L’expérience sensorielle de la violette et de la pensée, a amené notre groupe de femme dans une grande joie, et beaucoup de créativité partagée. Notre rencontre mensuelle est un espace en visio, et il nous tarde de nous retrouver « pour de vrai » ! Nous avons débuté par beaucoup de joie, et d’excitation. Pas facile de redescendre dans l’expérimentation.

La méditation guidée nous a aidée par la visualisation le souffle : celui qui descend dans notre colonne d’air (narine, gorge, trachée), pour nourrir nos bronches, bronchioles, et envahir nos poumons. Cet arbre respiratoire est une merveille de notre création. La racine éthymologique de respiration vient du grec spiros, qui se confond avec le souffle, et du latin spiritus, siège de l’énergie vitale, qui a aussi donné esprit. Porter son attention sur la respiration est, en yoga, en médecine chinoise, source d’équilibre et d’harmonie, source de QI (avec l’alimentation). Notre souffle est une porte d’entrée de l’extérieur de notre corps vers l’intérieur, et vice versa. Nous avons réussi en 5mn à déconnecter nos mentals, pour plonger nos corps dans l’instant présent, et dans un champ de violette et de pensée.

La simple visualisation de la violette a suffit à Monica, pour ressentir la beauté et la profondeur de la fleur. Elle est tellement belle et elle me touche profondément. Je vois l’espoir, la vie qui redémarre, la beauté de la vie qui sort de son sommeil et s’exprime dans sa multitude de formes et couleurs du plus discret au plus exubérant. La violette a comme des ailes qui se déploient dans une belle ouverture, tout en ayant un coté tubulaire qui cache une partie d’elle, qui reste plus discrète et intériorisée. J’ai envie de sortir ma loupe pour aller regarder le côté caché. Odeur : discrète mais présente, elle me ramène à mon enfance.

Il faut dire qu’elle revient d’une rencontre avec les cueilleurs de France, et qu’elle est regonflée à bloc pour ses sorties plantes sauvages et activités d’herboristerie sur Montpelliers. Si vous ne la connaissez pas, il est temps de découvrir son univers . Une voyageuse, une curieuse, une passionnée de nature et d’autonomie. Elle est pétillante, et saura vous faire aimer la montagne. Nature comestible

Alors revenons à notre petite violette. Imaginez la sur votre pelouse, ou en lisière de forêt. Dans mon nouveau jardin, j’ai le plaisir d’observer ses feuilles vertes en forme de cœur, installées en rosettes. Elle se distingue bien du fraisier sauvage qui la compagne. Elle est douce au toucher. Ses petites fleurs violettes, sont comme des papillons au bout d’un éperon délicat. Elles souhaitent qu’on se rapproche pour nous murmurer leur message.On les sent fragiles, et prêtes à se détacher. Elles sont nombreuses cachées sous leurs feuillage. Comme si elles dansaient en toute discrétion, et nous conviaient dans leur ronde joyeuse.

Dans le langage des fleurs, la violette est associée au printemps, au renouveau et à la modestie

La violette, dans ses variétés diverses, suffit presque seule à l’expression de tous les tendres sentiments ; c’est, avec la rose, la fleur la plus populaire et la plus aimée. La violette de printemps se cache dans les buissons, d’où elle répand ses parfums dans les sentiers agrestes. Elle fleurit sous ses feuilles, et on est obligé de la chercher pour la découvrir. Aucune fleur ne pouvait mieux symboliser la modestie.***

Mme de Sévigné appelait Louise de La Vallière, favorite de Louis XIV,  » l’humble violette ». *

Alors j’ai osé en cueillir une, et soulever sa tête baissée pour l’observer de plus près. Comme Monica, j’aurai aimé avoir une loupe pour observer ses détails. Sous le violet homogène, et sur la pétale centrale, des stries blanches et noires se révèlent à nous. Des cils velus blancs, cachent le stigmate, organe reproducteur de la fleur… Elles attirent les pollinisateurs par leur pollen de forme pentagonale, et leur nectar enfoui au fond de l’éperon. Alors qu’elles n’ont pas besoin d’eux pour se reproduire. Elles sont auto fertiles.

Revenons à la violette odorante et à ses mystères. La fleur, d’un violet profond, offre aux insectes butineurs un éperon rempli de nectar. Ils y trouveront aussi du pollen, s’ils le désirent. Mais ce pollen est dégénéré et la fleur, qui ne recule devant rien pour attirer les pollinisateurs, est stérile ! Aucune descendance ne sera engendrée par ce butinage. Un peu plus tard, lorsque ces beautés seront fanées, d’autres fleurs très discrètes se formeront à l’abri des feuilles. Elles ne ressemblent en rien aux premières. Ce sont de toutes petites fleurs vertes, aux pétales nuls ou avortés, ressemblant à de petits boutons verts. Ces fleurs resteront closes. Elles possèdent un pistil très court, en contact avec les sacs polliniques. Le pollen tombe directement dans le stigmate et la fleur formera les graines. Ce n’est pas la seule plante à pratiquer l’autofécondation à l’intérieur d’une fleur fermée. Ce phénomène est appelé cléistogamie. Certaines Céphalantères (orchidées) le pratique parfois. Mais pourquoi se donner la peine de former ces joyaux parfumés mais inutiles cependant ? Quel est ce mystère de l’évolution ?

Les graines, une fois libérées, renferment encore des merveilles. Elles sont munies d’une petite glande huileuse destinée à attirer les fourmis. Celles-ci les transporteront pour constituer leurs réservés. Certaines de ces graines tomberont au cours du voyage. La propagation de l’espèce se trouve ainsi assurée par cette connivence insecte – fleur *

Dans une société humaine, de telles femmes défieraient les règles de la complémentarité. Plus besoin d’hommes pour reproduire l’espèce humaine. Juste pour le plaisir du partage, et du jeu de séduction. Il faut dire que cette petite fleur délicate présente des similitudes avec les organes génitaux féminins. On peut y voir cette fleur vaginale, dissimulée sous de grandes lèvres. Elle s’ouvre sous les caresses et les murmures de l’amour. Et sécrète un nectar délicieux favorisant l’entrée de l’organe masculin. Au plus profond, les ovaires attendent sagement le frétillement des spermatozoïdes, pour s’ouvrir ou pas, à la fécondité. Les prétendants sont nombreux. Seul l’un d’entre eux, sera choisi. Pour unir 43 chromosomes masculins, à 43 chromosomes féminins. Et faire l’être humain que nous sommes devenus ! Mais je m’égare …

L’histoire nous apprend que la ville de Toulouse adopte la fleur de violette comme emblème dès le XIVème siècle. En réaction aux conditions de reddition des provinces du sud lors de la croisade des Albigeois (XIIIème siècle), un consistoire « du gay sabor » porté par plusieurs poètes soucieux de rétablir un certain lyrisme, fonde en 1323, à Toulouse, « l’Academia dels Jocs Florals », l’actuelle Académie des Jeux Floraux. Lors de concours littéraires en langue d’oc, elle récompensait un troubadour d’une fleur de violette dorée à l’or fin. Ainsi apparait pour la première fois une violette dans l’histoire de Toulouse. Il s’agit, alors, de la violette odorante, Viola odorata, violette commune des talus et jardins ombragés, dont la floraison arbore dès le printemps (mars) des fleurs munies de cinq  pétales de couleur violette. Selon la légende toulousaine, la violette serait arrivée grâce à un soldat piémontais de Napoléon III qui aurait offert une violette à son amoureuse habitant à Saint-Jory en 1850.

Les poètes l’ont célébrée, Armand Millet membre de la SNHF depuis 1874 l’a décrite, Elizabeth II toute de violet vêtue l’a respirée à Toulouse, Claude Nougaro l’a chantée, et la place du Capitole fête ses fragrances tous les ans à l’orée du printemps **

Revenons à cette première fleur, que j’ai senti. Elle dégage une odeur très subtile. Et caractéristique. Aucune autre fleur ne lui ressemble. Ce parfum évoque pour moi, des odeurs d’autrefois. De parfums utilisés par des grand-mères lointaines. Elle me connecte à la gratitude et à l’amour. Elle me ramène dans le souvenir de cette ritournelle ancienne chantée dans les repas de famille: « l’amour est un bouquet de violettes ». Elle me demande d’honorer mon authenticité, mon sanctuaire intérieur.

La violette murmure : « Chacun d’entre nous possède un lieu sacré au fond de lui qui a besoin d’être nourri et protégé. » Ce sanctuaire sacré est comme une nursery pour notre moi le plus profond et le plus authentique. C’est là que naissent et se renforcent de nouvelles vérités avant qu’on ne les autorise, une fois protégées par une armure de rationalité, à être envoyées à l’extérieur.****

Infusion – l’eau chaude sur ses fleurs et ses feuilles conduit à une décoloration progressive. La fleur perd a teinte violette, et se blanchit. Alors que l’eau se teinte d’un vert intense. En bouche, elle semble épaisse sous la langue, et révèle une note fumée. Comme un voile de mucilage et de douceur, je me sens enveloppée par l’émollience. Une tranquillité partant du cœur, qui rayonne sur mes épaules, mon dos, et tout le haut de mon corps. Je me sens enveloppée par la subtilité, par la chaleur, qui rosit mes joues. La fleur est sucrée, gourmande et croquante. Je me sens en paix.

Les mucilages sont des polymères de sucres  solubles en milieu aqueux. La solubilité différentielle des composés phénoliques et des mucilages permet de les extraire séparément à partir du matériel végétal et de les quantifier par des méthodes de dosage appropriées. Parallèlement, l’aptitude des polyphénols à fluorescer spécifiquement selon leur nature, quand on les excite par la lumière ultra violette, permet de les visualiser directement sur tissu vivant (Talamond et al. 2015) et d’enregistrer les spectres correspondants : fluorescence bleue des acides phénoliques, bleu-vert des flavonoïdes, début du rouge des anthocyanes, rouge des chlorophylles. **

Mais que peut on espérer guérir avec la violette ? Tout type d’irritations des muqueuses. Ses mucilages adoucissent les bronches, les gorges, les intestins inflammés. Elle humidifie, calme, apaise avec une teneur modeste en acide salycilique. Elle est diurétique et favorise l’élimination. Marie-Antoinette Mulot recommande de faire bouillir ses feuilles dans du vinaigre, et de les appliquer en cataplasme externe en cas de goutte, ou de crise rhumatismale. On évite d’utiliser la racine qui est vomitive.

Cette fleur du printemps n’est pas apparue dans ma semaine par hasard. Elle adoucit des peines, honore en toute modestie l’authenticité, et facilite l’ouverture. Elle me rappelle à chaque instant, l’importance de me poser, et de me centrer, pour calmer mes pensées. Elle amène l’excitation des projets, de la créativité. Tout en adoucissant l’empressement, par un voile de mucilage et d’enveloppement. Doucement… Pas d’affolement ; tout vient à temps, pour qui sait attendre.

Sources d’inspiration

https://www.affo-nature.org

Marie-Antoinette Mulot, secrets d’une herboriste ***

Luminessens.org ****