Mon rapport au frêne est particulier. Il me ramène une fois de plus, dans ce jardin de la Geltière, dont je vous parle si souvent. Pornic a été le territoire de mes explorations sensorielles, depuis mon berceau à ma vie d’adulte. Cette côte de jade, sur laquelle nous pratiquions la baignade, et la pêche à pied. Et ces terres du pays de Retz, agricoles et riches. Tout autour de nous, n’étaient que fossés, prés pour les vaches, tachées de noir et blanc, étendues de maïs, de colza, de blé. Nous allions chez Simone, chercher notre lait et nos œufs frais. Elle vivait avec son frère, dans la maison héritée des parents. L’odeur de la terre battue, de l’humidité, de la cave fermée était si forte, que nous préférions rester jouer dehors avec ma sœur et mon cousin. Quand arrivait l’heure de la traite, elle nous emmenait dans l’étable : elle prenait un petit tabouret de bois, et s’installait derrière les pis de la vache, pour recueillir ce précieux liquide blanc, tout tiède.
Des clôtures entre les terrains
Les champs étaient délimités par de grands arbres verts, souples, avec des hauts de troncs parfois tout déformés. Chaque hiver, les vaches réussissaient à dépasser leur frontière, pour envahir notre jardin, et défoncer les sols couverts de pelouses. Cela mettait mon papi Roger dans une sacré rage contre les paysans du coin. Ca s’apaisait à la cave, autour d’un bon verre. Le bois de cet arbre, était recherché pour son absence de nœuds, sa dureté et son élasticité. Les frênes étaient réputés pour faire rapidement du bois, et former des fagots pour l’hiver. Il garantissait des feux longs, et chauds toute la nuit, grâce à leur densité. Dans cette maison vétuste, nous comptions sur la beauté de ses flammes, sa chaleur, ainsi que celle des couettes en plume d’oie. Le plus dur, était de se glisser dans les draps froids et humides. Nous dormions avec ma sœur ou mes cousines dans le même lit. Nous nous serrions les unes contre les autres, pour avoir bien chaud !
Avoir un sale trogne
Du coup, la tête de l’arbre était « coupée », pour produire de nouvelles pousses. C’était la technique des têtards ou des trognes. Est ce de là que vient l’expression, « avoir une sale trogne » ? C’est vrai que les gars du coin, ressemblaient parfois plus à Pat hibulaire dans picsou, qu’à Dolnald. Les trognes des vieux paysans gaillardement rougies par le vin* (Balzac, Peau chagr., 1831, p. 289). Ils étaient déformés par l’alcool, et la dureté de la vie. Le plus difficile, quand j’étais enfant, c’est quand je devais faire la bise à Marcel. Je retenais ma respiration, pour ne pas m’évanouir sous son haleine fétide. Mais c’était un bon bougre, le Marcel. Toujours prêt à rendre service.
Un refuge pour les oiseaux
Les frênes abritaient de multiples oiseaux : rossignols, tourterelles, mésanges, pincons, rouge gorge, merles, grives. Le coucou chantait au loin, mais jamais je ne l’ai vu. Je n’ai jamais sû à quoi il ressemble. A chaque fois, mon père répétait : j’espère que tu as de l’argent dans tes poches. Ca porte bonheur ! Vieille légende que l’on retrouve dans plusieurs traditions. Si on a de l’argent en poche lorsqu’on entend le Coucou chanter pour la première fois en printemps, on en aura toute l’année. **
Des folioles impaires très gouteuses
Les rameaux de frêne, ont cette particularité de porter des feuilles, en nombre impair. Elles sont disposées en face à face par 2, et se termine par une seule feuille terminale. C’est la caractéristique des Oléacées (lilas, olivier). Le feuillage servait de nourriture l’hiver, au bétail. On peut consommer les jeunes fruits (samares) des diverses espèces de frêne, marinés dans du vinaigre. Veillez toutefois à les faire bouillir préalablement dans au moins deux eaux pour les débarrasser de leur amertume.*** Le frêne est réputé pour ses effets antirhumatismaux et diurétiques. Il agit sur la goutte : maladie inflammatoire, dûe à des dépôts de cristaux d’acide urique, provenant de la dégradation des aliments, notamment d’origine animale. , Dans la région, on distillait en cachette, des alcools de poire ou de pommes, qui étaient servis comme digestif les jours de fête, ou les jours d’émotions fortes. Ca décoiffait ! Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle « eaux de vie ». L’alcool était le prozac des pauvres, le sucre réconfortant, autour duquel on se racontait les malheurs des autres. La freinette, Boisson fermentée, à base de feuilles de frêne, était réalisée dans certaines régions, ou la goutte faisait rage. Une grande jarre méridionale qui contenait, pétillante et renouvelée, la boisson inoffensive nommée « freinette » (Colette, Belles saisons,Nudité, 1943, p. 129). Il buvait du cidre et de la frenette aux repas (Vialar, Homme de chasse,1961, p. 68). *
Le frêne : manne de douceur et de féminité
Les frênes détiennent la sagesse féminine divine et confèrent ses qualités aux humains et aux animaux. Ils choisissent souvent de se développer le long des lignes ley, afin de pouvoir utiliser le féminin divin pour adoucir le flux d’énergie qui se répand autour d’eux. Cela apporte une énergie douce et équilibrée dans les zones où ils poussent. Leurs bourgeons noirs symbolisent le maintien de la nouvelle croissance dans le cocon yin pendant la formation des feuilles.**
Le nom latin, « fraxinus », me fait penser à Harry Potter. On dirait une formule magique, prononcée pour transformer le monde. Dans les peuples germaniques, le frêne était sacré. C’était l’arbre du monde, à l’ombre duquel l’univers se déployait, duquel tous les êtres dérivaient. Toujours vert, il était le symbole de la pérennité de la vie, que rien ne pouvait détruire. On voit dans cette représentation, le symbole de la fécondité, de la fertilité, de la féminité. Il pousse le long des sources. A une affinité avec l’eau. Il est source nourricière, abri, calumet de la paix. Il complète le chêne, et adoucit son aura, par plus de souplesse, et de fluidité. Il l’équilibre de son énergie Yin, de réceptacle, de recueillement, de retenue. Il produit une sève sucrée, appelée manne. Donnée aux enfants pour leur donner force et vitalité. Cette manne est d’ailleurs entré dans le langage courant, pour définir une nourriture céleste, sacrée, providentielle.
Les Lakota ont élu Frêne pour représenter tous les arbres de la création ainsi que l’homme en son individualité en façonnant le tuyau de la Pipe Sacrée dans son bois. C’est lorsqu’il est jeune et bien droit qu’il est choisi, de préférence par temps orageux, « avant le premier coup de tonnerre. L’arbre sentant la foudre, retient sa sève sans ses racines ; ainsi le bois ne fendra pas » **
Chez les Celtes, le frêne incarne la volonté inébranlable. Intransigeant, dur, inflexible, le frêne aide à ne pas perdre la volonté d’y arriver, tout en gardant une totale liberté. Il symbolise la puissance de l’eau, et la rapidité des chevaux. Il a la réputation d’amollir les cristallisations qu’elles soient du corps (rhumatismes), ou psychiques.
Je me souviens de ces frênes au fond du jardin. Ils m’attiraient. Nombre de fois, je m’y suis posée, dissimulée. J’y trouvais un silence propice à l‘introspection, une solitude, nécessaire à la digestion de la vie. Le frêne est comme l’eau, un compagnon indispensable à mon équilibre. Peut être pour y retrouver ma féminité cachée, et refoulée, par peur d’être souillée.