Je suis née en 1971. Depuis toute petite, ma fibre naturelle est d’aller vers les autres, de leur sourire, et de leur tendre la main. En maternelle, je n’avais pas conscience que le copain Mehmet était différent, car il était turc. Je le prenais par la main, comme mon copain Florent. En Cp, alors que j’étais moi aussi transie de peur, je suis allée vers Isabelle, qui pleurait dans son coin. Elle avait la peau noire, sa maman était blanche ; elle était adoptée. Mon ami de berceau, Frédéric, était métisse. Et j’interrogeais souvent mes parents sur sa peau « chocolat au lait » J’avais fini par l’appeler « le petit barbouillé », à l’image de ce personnage artiste, et noir de Barbouille, des barbapapas. Naturellement, dés que ma mère a eu les moyens de m’offrir des livres, elle m’a acheté l’encyclopédie de l’homme de toutes les couleurs. Mon père, syndiqué sur le chantier naval Dubigeon de Nantes, parlait de ses amis portugais, algériens, des échanges, de ses voyages. Il écoutait Djamel Allam, autant que les fados. Etait ce la résonance d’un capital génétique aux origines Ibériques, Celtiques, et voire très lointaines, Amérindiennes ?
Et pourtant, d’aussi loin qu’on s’en souvienne, mes ancêtres paternels, n’ont pas quitté la pays de Retz, la région de Pornic et de St Michel Chef chef, et la région du Morbihan. L’arbre généalogique entrepris par mon père, nous ramène au XVIIe siècle, toujours dans cette même région. Quant au côté maternel, nous ne connaissons pas l’origine des yeux bleus clairs profond de mon grand-père. Mais nous savons qu’ils occupaient la région d’Anjou, depuis des siècles. Mes grand mère étaient réputées, l’une pour son pâté de lapin, l’autre pour son pâté de ragondin ! Mes grand père étaient connus, l’un pour sa jovialité et son hospitalité, l’autre pour ses courses à vélo et ses sautes d’humeur. N’oublions pas que ces générations ont connu la seconde guerre mondiale, et ses traumatismes. Ils nous ont transmis dans le capital génétique, leurs peurs de manquer, d’être persécutés, d’être attaqués, d’être abusées. Leur devoir de se cacher, ou de se défendre. Leur manque de sécurité. Mes parents ont profité du plein emploi, de l’appel à l’immigration pour occuper des postes subalternes. Et quand les crises financières se sont installées progressivement, la montée du racisme s’est exprimée. Dans les années 80, je défilais avec les lycéens derrière la main jaune « SOS racisme ». Et nous militions pour la liberté, la fraternité, et l’égalité. Nous allions en Allemagne, en échange scolaire, visiter Berlin, non loin des frontières barbelées entre l’est et l’ouest, pour nous rappeler d’un passé douloureux, à ne plus jamais accepter ! Le journal d’Anne Franck était dans les programmes scolaires. Nous chantions Asibonanga, avec Johnny Clegg, pour soutenir les luttes de Mandela contre l’apartheid ! Souvenez vous !!
Aujourd’hui, je suis triste et inquiète. Que s’est il passé ? Comment l’individualisme et l’égoïsme ont t’ils pû prendre autant de place dans notre société ? Les écarts, les inégalités, les suspicions, les divisions, les injustices ont envahi l’actualité. La peur est devenue le moteur de l’insécurité. On voudrait que l’Homme de toutes les couleurs regagne la couleur de son territoire, et respecte ses frontières. Mais l’humanité est brassée, diversifiée, colorée. Elle ne peut plus être fractionnée. Elle doit s’unir pour préserver son patrimoine. Elle doit rire des différences ! Organiser des bals populaires en dansant la gigue, la valse, le tanguo, le sabar, le flamenco, la danse africaine, orientale, le zouk. Elle doit savourer et partager le coucous, le mafé, le cassoulet, le taboulé, le chili concarne, les nems. Elle doit échanger ses astuces de beauté, du masque au yaourt, au marc de café. Elle doit célébrer son Humanité. Son libre arbitre. Sa capacité à débattre, à échanger, à construire, à rêver, à innover.
Aujourd’hui, j’invite à plus de Solidarité. Et la raison d’être de mon activité d’herboriste, de citoyenne, c’est de mettre mes savoirs et mes expériences, au service de la résilience* des communautés, en créant des ponts et des connexions avec la nature et la créativité.
*Résilience – Aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques