Le Nguer – une racine chercheuse de source

Publié le 14 novembre 2021 - Paroles de plantes

La maladie pour une herboriste, est un terrain d’expérimentation extraordinaire. En sociologie, on appelerait ça enquête de terrain. Une immersion dans le territoire, pour observer de l’intérieur, les us et coutumes de nos hôtes. En l’occurrence, mes invités sont plutôt des infiltrés. Des persona non désirés, ayant profité d’une faille dans mon système de sécurité et d’immunité, pour occuper l’espace. Fatigue, transition automnale, chaud / froid mal supporté, et c’est la machine qui s’emballe. Ecoulement nasal, enrouement, toux …

Ce sont des nuits plutôt mouvementées pour toute la famille, quand la toux s’invite à 3h pour envahir le silence de la nuit. Alors tout le monde essaie de transmettre la recette qui nous aidera à endiguer cette toux tonitruante. Mon mari a été fouiller dans nos réserves de plantes. Eureka ! Il a trouvé celle qui allait tout calmer. LA plante miracle antitussive. Celle que toute bonne famille sénégalaise utilise pendant la saison des pluies. J’ai souri. Et j’ai procrastiné. J’ai continué mes breuvages d’armoise, d’aunée et de thym.

Mais après avoir bien toussé toute la journée, à en sentir des contractions abdominales et des tensions thoraciques, je me suis enfin décidée à essayer. J’ai pris 3 feuilles de Nguer. Elles sont assez larges, épaisses, grisâtre. Le mode d’emploi est une décoction. Mettre dans l’eau froide et porter à ébullition, pendant 15mn. Boire chaud ou froid. J’ai dégusté ce breuvage. Première impression en goût : une saveur proche du kinkeliba (combretum) et de l’armoise. Deuxième sensation : l’astringence. Un assèchement du fond de la gorge intense. Etonnamment, j’ai tout de suite senti une action forte. Un resserrement des tissus, et l’apaisement de l’irritation des muqueuses. Même si je préfère privilégier des plantes locales, et que j’encourage cette pratique, j’ai bien dû admettre que ce remède est intéressant pour ce que je traverse. J’ai donc fait mes recherches sur cette plante jusqu’alors étrangère pour moi. Alors embarquez avec moi, pour un voyage au Sénégal !

Dans le Sahel, les arbres et les plantes se font rares. La terre est aride, et le sable du Sahara envahit l’espace. C’est une bande de plus de 7 500 kilomètres qui traverse l’Afrique, du Sénégal à Djibouti. Un projet fou a été lancé à la fin des années 2000 : il prévoit de planter des arbres pour freiner l’avancée du désert. On l’appelle la grande muraille verte.

Justement, comment fait-on pour faire pousser des arbres dans le désert ?

D’abord, il y a beaucoup d’arbres qui poussent dans le désert. Près de chez nous, c’est semi-désertique. Le désert, ce n’est pas uniquement le désert de sable, de dunes. On a par exemple le jujubier qui pousse bien, on a aussi l’acacia sénégalais ou le baobab qui vit bien dans toutes ces zones. Mais dès qu’il y a un jeune arbre, il est mangé par le bétail parce qu’il y a trop de divagation de bêtes. Et nous sommes donc obligés de protéger les arbres, on installe des clôtures pour faire des parcelles. Cela représente des milliers d’hectares. On installe également des gardiens pour surveiller les lieux. Ils empêchent les éleveurs de couper les grillages parce que sinon, ils les coupent pour faire entrer et pâturer leurs animaux. Il faut savoir qu’en dehors de ces zones protégées, le bétail n’a rien à manger. C’est difficile, mais bon, on va y arriver. J’ai visité des zones où l’on obtient de bons résultats, avec 60 % de réussite sur ce que l’on a planté. Notamment tout ce qu’on a fait dans les années 2008, où la pluviométrie était formidable : on avait 800 mm de pluie, ce qui est exceptionnel. 

Il y a une  zone en 2009 où on a un taux de reprise de la végétation de plus de 40  %. On a même réintroduit des animaux parce que vous savez, les animaux jouent un rôle important. Quand ils consomment des graines, ils les dispersent. Donc, on développe des techniques de récoltes des fruits sauvages qu’on donne aux animaux qui divaguent, aux animaux qui migrent.

On dépose dans la forêt des graines pour que les animaux les mangent, comme l’acacia Albida, qui est un très bel arbre. On nourrit le bétail  simplement. On lui offre ses fruits, et on espère que quand il va digérer et les rendre à la terre au moment de la saison des pluies, certaines graines germeront. En tout cas, on essaye beaucoup de solutions. Je ne suis là que depuis un an mais j’ai bon espoir. On va arriver à inverser la tendance. Haidar Ali*

Cette bande désertique était traversée par les peuls, peuple nomade, qui voyageait d’est en Ouest pour nourrir ses troupeaux. Beaucoup se sont sédentarisés, au fil de leur parcours. Cet adn est inscrit dans les cellules de mes enfants, par l’héritage de la famille de leur père. D’où mon intérêt pour cette partie du monde. Dans une étude de 2020, la coupe ancestrale des arbres étaient dénoncées comme potentiel danger de désertification plus intense. Nous en avons déjà parlé dans l’article sur le baobab. Il faut dire que la végétation est un comme moyen de subsistance central. Ce qui semblait acquis, se fragilise, et comme chez nous, la population a pris conscience des changements à opérer.

L’arbre est utilisé dans cette communauté dans l’alimentation humaine (94,3 %) et ani-
male (94,3 %), dans la pharmacopée (82,8 %), et dans les usages domestiques comme bois de service (28,6 %) et de construction (37,14 %). Pour accéder aux différentes parties des arbres, les éleveurs pratiquent souvent la coupe ou l’élagage. Les espèces les plus exploitées sont Balanites aegyptiaca (14,3 % à 88,6 %), Calotropis procera (14,3 % à 28,6 %), Sclerocarya birrea (8,6 % à
25,7 %), Adansonia digitata (8,6 % à 20 %) selon les zones et les besoins. Une majorité d’éleveurs (51,4 %), conscients aujourd’hui de l’impact de ces pra-tiques sur le peuplement ligneux, a abandonné la coupe et pratique l’abaisse-ment des branches pour nourrir le bétail. **

La baisse de fertilité des sols, l’érosion, l’appauvrissement, a encouragé certains à revenir à des pratiques ancestrales de permaculture. Ils ont observé les plantes locales, et leur fonctionnement, et leur rôle dans l’équilibre de l’écosystème. Rien n’est plus vertueux, que de regarder la nature pousser. Elle développe des stratégies qui lui sont propres. En favorisant les bonnes combinaisons de plante, en fonction des sols, de la météo, et des besoins de la population, on réussit à développer un système vertueux, qui ramène la vie dans les zones arides.

Les arbres présents dans ces espaces doivent s’adapter aux conditions de sécheresses extrème . Le guiera senegalensis, n’échappe pas à cette règle. La plasticité et la persistance de ses feuilles (même en saison sèche ), en fait un arbuste capable de stocker l’eau la nuit, en limitant l’évaporation le jour. Il a un système racinaire dit pivotant, qui lui permet de plonger pronfondément dans les sols, pour puiser l’eau, dans des nappes phréatiques lointaines. Par ailleurs, ses racines traçantes, favorisent l’édification de microbuttes, favorisant l’infiltration des eaux de ruissellement. Ce sont des îlots de fertilité exploités par les paysans, pour faire pousser le mil, et autres plantes herbacées. Guiera senegalensis améliore les propriétés physiques; chimiques et biologiques des sols pour permettre l’installation d’autres espèces. Les principales fornes de régénération sont le marcottage naturel et le rejet de souche. La régénération par semis est réservée à quelques micro-sites particuliers.

Quels sont ses principes actifs, et ses usages ?

****La plupart de ces études chimiques ont porté sur le criblage phytochimique des extraits de feuilles, de racines, de tiges et de galles. Elles ont montré la présence d’hydrates de carbone, de stéroïdes, de saponines, de flavonoïdes, d’alcaloïdes, de tanins, de saponines, de glycosides cardiaques, de coumarines, d’anthraquinones, d’acide ascorbique, d’hétérosides cardiotoniques, de cyanogènes et de terpénoïdes

Comme mon mari, beaucoup de sénégalais font usage de cette plante dans la saison des pluies, ou d’hivernage. Ils la font bouillir, et boivent cette tisane au cours de la journée

Les potentialités thérapeutiques des extraits de G. senegalensis rapportées dans plusieurs travaux scientifiques ont porté sur les activités antibactériennes, antitussives, antidiarrhéiques, cytotoxiques, anti-inflammatoires, antipaludiques, antitrypanosomiques, antihelminthiques, antivirales et antioxydantes.

Une plante aux nombreuses vertus, dont le usages traditionnels sont nombreux. Les dioulas, grands fumeurs de pipe, utilise la poudre des feuilles mélangées à du tabac, pour apaiser les problèmes respiratoires. La galle calcinée et réduite en poudre, plus du sel ou du sucre, ou réduite en boulettes en y ajoutant du beurre de karité, est efficace contre la toux et les maux de gorge. En application externe, elle soigne les boutons qui apparaissent sur la tête et souvent sur le reste du corps.


Sources d’inspiration : Emission de france culture * https://www.franceculture.fr/emissions/grand-reportage/la-grande-muraille-verte-clef-de-lavenir-de-lafrique – **file:///C:/Users/Lenovo/AppData/Local/Temp/31890-Texte%20de%20l’article-34675-2-10-20210413.pdf – ***En savoir plus https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers14-07/41793.pdf – Intérêt écologique et usage agricole – ****Revue bibliographique sur la composition chimique et les activités biologiques de Guiera senegalensis J.F. Gmel. (Combretaceae) – Yoro TINE1*, Moussa DIOP2, Idrissa NDOYE1, Alioune DIALLO1 et Alassane WELE